La tortuga et le lapina

Je me retournai comme un astre en colère et je ne vis pas mes pas et je ne vis pas mon ombre, les pupilles dilatées j’en fus à chercher même mon corps que la sirène aurait appelé (je ne m’étais pas attaché), j’avais suivi pourtant cette route et puis ce chemin et le sentier puis les traces encore persistantes de quelque lapin blanc. Perdu mon temps. Au tournant d’un détour Je fus retourné par un arbre au pas lourd qui me prit de ses blanches et je fis grise mine et profonde humeur : de mes poches à l’envers tout s’échappait et ma montre et mon canif et quelques restes comme des souvenirs ; je fus dans un nid soudain et j’ouvris la gueule par instinct comme je l’ouvrais parfois par colère ; la canopée s’offrit et je pus lui parler. « Ai-je faim », je dis, entre affirmation et question car de la situation je veux au moins gagner un repas, un fruit suffisant. « Ai-je faim et suis-je perdu » j’ajoute entre doute et affirmation car de l’aventure on ne sait pas toujours revenir. « Ai-je faim et suis-je perdu et fort fâché » je complète car je suis plutôt peureux et toute broutille est accident. Aucune ombre pour réponse, aucun oiseau pervers ayant foncé sur moi, aucune pluie qui aurait lavé l’affront. Je fus plus que seul et devrais m’en contenter. « Holà gaillard », osai-je devant tant de vide, « Fais place à mon regard et à genoux », fis-je encore avec témérité car ouf, personne avant comme arrière, j’en fus à vouloir prononcer des phrase et les garde pour plus tard. Les branches se relâchaient et je pus me retourner encore et libérer ici un bras, ici une jambe et la tête, ah… Le manège.

Cours petit cheval de bois
Et file droit…

L’arbre est joueur, nous ne l’oublions pas, qui me ballote et me pelote et barbotte ma bague de sept lieux puis me laisse choir comme une chevillette, me voici boitant tournicotant, cherchant un nord rédempteur. Tendant mon fusil imaginaire au-delà des poussières, je vise l’ennemi qui viendra ; curieux objectif si je suis visé et qu’il se fait mouche, je ne sais que demeurer.

…Et file droit.
Tourner la belle affaire, crois-moi.

Pierre Rochigneux, 2010