Hyménoptères,
Coléoptères,
Diptères,
Lépidoptères,
Hétéroptères,
Homoptères,
Inventaire digne d’un Prévert
Hormis les odonates bravant les ères.
Travail
d’entomologiste ?
Certes non. Il n’est pas ici question
de répertorier, collectionner, archiver,
nommer, latiniser, planchifier les individus
de cette pêche miraculeuse.
Portraits
d’insectes ?
Non. Morceaux, bouts, parties de corps (insectus),
pattes, têtes, ailes, abdomens, thorax…
absence de faciès.
Autopsie
d’une noyade collective?
Non plus. La mort accidentelle est prouvée.
Alors
quoi?…
L’été dans les piscines
où nous macérons à grands
bruits, en notre absence, les arthropodes viennent
boire. Mais cette eau perfide chlorée
les noie pour la plupart. Augures d'Art mortuaires.
Muni d’un filet, d’une épuisette,
d’une passoire, il suffit en fin de journée
de les collecter puis de les faire sécher.
S’offre alors une matière première
morbide, cadavres exquis qui de l’un à
l’autre et au fur et à mesure des
jours et des pêches se répondent,
échos combinant des phrases plastiques.
Des regroupements inattendus se livrent laissant
entrevoir de possibles images. S’ébauche
dès lors les prémisses d’un
travail propédeutique à l’œuvre.
Ainsi ces morts estivaux s’honorent des
premiers rôles du bestiaire. Êtres
anonymes tout à coup placés sous
les projecteurs, vedettes d’une danse
macabre, chorégraphie d’images,
noir ballet, vanités entomologiques,
métaphores de la fragilité du
vivant. Eux qui, pourtant depuis la nuit des
temps, où nous étions absents,
habitent, arpentent, bravent ce monde, s’exhibent
ici sous nos yeux encore neufs, étiolés,
pourris, désagrégés en
une laide beauté toute spectaculaire
qui narre notre devenir inavoué soudain
rendu visible, intelligible. Une poésie
baroque qui chante notre finitude et prédit
l’éclat dramatique, romantique
de son cortège. Natures mortes de sujets
animés hier encore, vibrant, remuant,
volant, piquant, dardant, suçant, occupant
notre espace, se posant sur nos peaux, nos poils,
nos cheveux, nos organes externes, maculant
nos pores, picorant nos assiettes, empêchant
par leurs bruits et chatouillements nos siestes,
finissant là, immobiles, défaits,
en un inéluctable et définitif
arrêt. Beautés tragiques suspendues,
vides, réduites à la forme, à
ce qu’en a façonné ici l’artiste
avant que les nécrophages gloutons ne
se les approprient pour un banquet ultime. Fatalité
ou volonté divine quand il s’agit
de ces êtres élémentaires
venus crever là dans ces quelques mètres
cubes d’eau empoisonnée? Simplement
preuve tangible de ce qui nous fait, de ce qu’est
la vie à mort. Quoiqu’il en soit,
morts “utiles” au fantasme d’un
artiste, nourriture, matériel livré
à l’esprit créatif en ébullition
permanente, qui observe, étudie, analyse,
prévisualise les choses alentour et déploie
vers elles ses passerelles, chemins de l’imaginaire,
passages béants des méditations.
Ici donc, rendre compte du fait esthétique
latent dissimulé par une hécatombe
prosaïque.
Alain
Hervéou
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