Fermez
les yeux et imaginez la mer aux grandes marées
d'équinoxes, lorsque sur Kerurus elle
se prend à imiter dans un raffut assourdissant
la charge d'un troupeau.
Je l'entend ce tonnerre étourdissant.
Je l'imagine ce petit enfant effrayé,
perdu, fragile dans un bout du monde de sable
et de rochers.
Ma mère…
Me rendant pour la énième fois
sur cette plage, je ne pouvais savoir à
quel point cet instant là ferait date.
C'était une journée grise et
plate. j'étais seul avec Lou (ma chienne).
La mer et le ciel se confondaient.
Comme d'habitude l'endroit ranimait les récits
maternels. Mes pensées vagabondaient
nostalgiques lorsque soudain le lieu devint
une évidence. Les rochers noirs sous
mes yeux me mirent en présence de mes
origines, de mon histoire.
Ils étaient posés là
simples, immobiles et fiers. J'étais
touché, frappé, ému par
eux. N'étaient-ils pas plus importants
que moi? ne portaient-ils pas en leur sein
la mémoire d'un vécu d'avant
mon existence et par lequel je suis?
Celui de cette petite fille courant sur la
plage, zigzaguant ces rochers qui aujourd'hui
me regardent et me parlent de ces temps anciens.
Le murmure visuel de ces vulgaires grosses
pierres ne me montrait-il pas aussi avec force
que l'universel n'est pas en l'homme et qu'il
ne fait que l'habiter.
Ce qui m'a point dans ces "images réelles"
c'est cette sensation d'intériorité,
cette gravité simple et manifeste.
J'avais l'impression d'être un personnage
d'un tableau de Caspar David Friedrich.
Et ce galet, ce caillou, de quel temps viennent
t-ils?
Combien de fois la mer les a t-elle caressés?
Aux temps immémoriaux étaient-ils
comme ces immenses rochers noirs prétentieux
bravant la mer?
Ont-ils connu Arthur, Perceval, Lancelot?
Merlin et Morgan? Ys et ses splendeurs?
Se rappellent-ils de cette fillette blonde
et bouclée?
Celle du temps d'avant, du temps encore sauvage,
celui de ma mère courant les dunes
de sable, volant sur l'écume salée,
grimpant sur les rochers, ceux que je vis
là-bas, ceux que vous voyez ici.
Alain
Hervéou (décembre
2000)
*Ker : Mot breton signifiant maison,
village.
Urus : Mot celtique désignant
l'aurochs. Boeuf sauvage noir de grande taille
peuplant le
moyen âge et aujourd'hui éteint. |