J'entre
dans ce lieu mythique "Manufrance". Mission
: y séjourner six jours pour faire des photographies,
6 jours c'est peu pour une surface si grande, une
histoire si lourde ...
Les
rédacteurs de la revue "Azimuts"
me confient le portfolio. Thème du numéro,
le design et l'entreprise. L'objectif est de donner
à voir les images réalisées en
1988. À l'origine, ces photographies en noir
et blanc sont classiques, de type reportage d'architecture
présentant les divers aspects du lieu. Mais
quel intérêt de montrer un travail représentatif,
à priori, de n'importe quel site industriel
construit à la fin du XIX ème et au
début du XX ème? Il est nécessaire
de donner du sens aux images, de les charger d'affect
afin de placer le spectateur en situation de plaisir,
de douleur, d'émotion.
Révéler qu'au delà du béton
et du métal, cette carcasse à présent
vide et froide, ce squelette exsangue à l'architecture
du passé abrite à l'ombre de ses murs
les fantômes d'une histoire, il faut les invoquer
afin qu'ils nous disent les années glorieuses
désormais ternies de "chez Mimard".
Comment évoquer ces ombres, comment signifier
que dans cet espace, le temps a fait son plein d'événements
si ce n'est en le contractant, le reliant, le superposant.
La fusion d'un document d'archives et d'un cliché
du lieu en état d'abandon au sein d'une représentation
finale l'explicite. Alors les sensations s'exaltent
au présent des strates mises en place.
L'utilisation du support "Polaroïd"
s'est imposé dans cette approche sensible du
lieu. Il offre les éléments nécessaires
à l'union fond et forme. Il est propre à
susciter par sa matière et ses couleurs surannées
ce voyage dans le temps, cette promenade au cœur
des souvenirs.
Alain
Hervéou, 1993
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