TROPHÉES

 

Ils sont légions.

À nos yeux ils se ressemblent tous.

Point de singularité lisible dans leur faciès d’insecte, rien qu’une identité.

Blonde aux yeux bleus? …, brun aux yeux verts? …, que nenni.

“T’as d’beaux yeux tu sais” n’est pas de leur vocabulaire.

Mais comment font ils donc pour se plaire?

Armée de soldats en guerre pour la survie, clones en uniformes aux regards habités par l’unique désir de durer.

Seule l’espèce les entraîne dans cette course folle du vivant où contre Darwin ils vont perpétuant inéluctablement leur mission à l’infini.

Harnachés de leurs carapaces , équipés de leurs mandibules voraces, de leurs trompes suceuses, avec leurs gueules à faire fuir un légionnaire, les yeux protubérants, exorbités, crânes rasés et lisses, ils sont les oracles qui retracent notre passé et nous informent de notre avenir.

Et bien oui Mesdames et Messieurs ils sont là devant vous ces mercenaires, plantés au centre du cadre, exsangues et défaits, leurs carcasses moribondes, leurs figures sans sourires.

Vaincus accrochés au papier photographique, portés en icônes. Monument aux morts d’éternité qui les commémorent.

Butin d’une chasse réussie mais inégale où l’artiste se prend pour Tartarin. Victoire d’une bataille qui ne présage pas celle de la guerre. Tant cette cohorte de cloportes sera présente en notre dernière demeure pour nous dévorer comme Saturne ses enfants.

Mais aussi têtes superbes, majestueuses, posées là comme un affront, comme un défi au temps. Sauvegarde ad libitum de ces masques mortels, portraits d’un Fayoum entomologique qui conservent la mémoire de ces physionomies. Effigies futures d’une existence passée, celle du temps où l’esthète était là pour les dresser.

Typologie argumentée par le propos esthétique où point de vue, cadrage, format sont récurrents. Collection morbide d’images en cadres qui deviennent objets d’Art et non de décoration. Le beau papillon aux ailes colorées et diaphanes, le scarabée aux reflets nacrés, la coccinelle à la parure rouge et noire  n’ont pas leur place dans cette galerie. Au-delà de leurs costumes et de leurs belles apparences ce travail les limite à leur seul portrait démesuré dont la lecture ambiguë dérange, incommode et provoque le malaise chez le spectateur. Ne nous ramènent t-ils pas à nos peurs, nos angoisses les plus profondes.

Animaux étranges et mystérieux, voisins aux desseins obscures et à la beauté parfaite,  gracieux ou lourds, poétiques ou monstrueux suivant l’individu contraints dès lors à une inerte posture d’où émane leur charisme.

Aucun désir d’amour propre dans ces trophées brandis mais métaphore du pouvoir et de la soif des Hommes de vaincre et dominer, vanités.

Point final à cette chasse de plusieurs années, hommage à ces créatures dont pour certaines j’ai pris la vie et avec qui j’ai partagé un long temps. Qu’elles en soient ici remerciées.

Alain Hervéou